J’ai tout de suite envie de dire : je l’ai pas fait exprès. Je ne me suis jamais levé un matin, au Québec, en me disant tiens, je vais écrire sur l’histoire d’un quartier de Paris.
Tout est de la faute à la Providence. Qu’on en juge.
En 2012, je me préparais pour mon premier voyage à Paris. Pèlerinage serait plus exact. Je voulais retracer Jean Valjean fuyant avec Cosette alentour de la masure Gorbeau, et Marius rêvant à la même Cosette, assis près de la Bièvre (mais déjà en 1862, Hugo disait que le Paris des Mirérables, de trente ans antérieur, avait bien changé…).
Également, par un autre canal, je m’intéressais à l’enceinte de Philippe Auguste.
Quelle ne fut pas ma belle surprise d’apprendre sur place que Bièvre et enceinte avaient un point commun, une arche, et qu’on pouvait la visiter le premier mercredi du mois, avec un guide. C’était justement un premier mercredi — le seul que je passerais à Paris — et c’était dans moins d’une heure. Dernière chance. Juste le temps de marcher de la Maison Ourscamp à celle de la Poste – Jussieu, dans les profondeurs de laquelle se cache l’arche en question.
Nous étions une poignée sur le trottoir qui attendions le guide, en retard. Au bout d’un moment, l’un de nous, Parisien et pas touriste du tout, mais familier de la visite, a décidé de prendre charge. Rencontrez-donc Denis Stora.
Après s’être fait remettre les clefs de la crypte par les postiers qui le connaissent bien, Denis, habité autant qu’habilité, nous a tout expliqué de l’arche, de la Bièvre, mais surtout de l’enceinte de Philippe Auguste, sa grande spécialité. Une fois remontés à la surface, l’homme, mis en appétit d’auditoire, s’est offert pour nous montrer d’autres vestiges du mur. Une Française et moi avons accepté. Bien nous en prit : nous a ainsi été donné de contempler des parties de l’enceinte que, sans Denis et ses accès secrets, nous n’aurions jamais vues. À la fin, autour d’une bière (attention : ce type cale un demi en deux lampées), il m’a suggéré de se revoir le lendemain, pour compléter la visite du mur (Rive-Gauche seulement : la Rive-Droite pour lui, c’est comme celle du Rhin). Ce qui fut fait. On a même investi le Procope, pour un point de vue imprenable sur une tour. Je vous raconte pas…
Une amitié était née.
Plus tard, de retour au pays du Marché aux Chevaux, une nécessité pressante m’a fait entrer à la manufacture des Gobelins. Voulant me dédouaner de cette visite peu déférente, avant de ressortir j’y ai acheté quelques numéros de Histoire et Histoires du XIIIe, ainsi que le livre Sur les traces de la Bièvre parisienne, de feus MM. Gagneux, Anckaert et Conte. Documents que je n’ai pas ouverts avant mon retour au Québec.
C’est ici qu’en les feuilletant, j’ai remarqué que plusieurs photos, très différentes les unes des autres, avaient comme même légende Passage Moret. Comment est-ce possible ? Il doit y avoir erreur. Plusieurs erreurs — hypothèse guère plus crédible que la multiplication de ce nom.
J’ai recontacté Denis, et peu à peu, nous sommes parvenus à reconstituer le puzzle de ces photos. Mon ami, que je surnommais Œil-de-Faucon, n’a pas son pareil pour repérer d’infimes détails, lesquels, communs à certaines de ces cartes postales, permettaient de les situer les unes par rapport aux autres. Moi, j’assumais la fonction orientation. Il faut savoir que le passage Moret n’était pas une voie rectiligne d’un seul trait, mais plutôt (empruntons un procédé cher à Hugo) une espèce de chiffre formé d’un T et d’un J dont la queue serait très allongée. D’où impression d’endroits distincts. Impression pas si fausse, finalement.
L’appétit venant en mangeant, nous avons voulu connaître, après sa géographie, l’histoire de ce mystérieux passage Moret. On a suivi bien des pistes — d’abord fausses. Attendrissantes spéculations, en rétrospective… Puis Denis est allé faire un tour aux Archives de Paris. Il en est ressorti après avoir identifié quelques riches filons, qui à ce stade restaient à exploiter. Ensuite, pour essayer d’en apprendre plus, il est allé à la Société d’Histoire et d’Archéologie du 13e arrondissement de Paris (SHA-13). Ça s’est avéré qu’en fait, c’étaient EUX qui voulaient en apprendre plus sur le passage Moret. Alors pourquoi pas ?
2016. Je retourne à Paris. Denis et moi rencontrons madame Maud Sirois-Belle, présidente de la SHA-13 — ainsi que monsieur Gagneux lui-même. Il est décidé qu’une conférence serait prononcée par moi sur ce sujet peu exploré, suivie d’un article dans le bulletin annuel de la société. Ça nous donnait un an pour tout préparer — et surtout, compléter nos informations. Denis a trouvé trace de l’acte de vente d’un terrain, futur passage Moret, aux Archives Nationales (fiché sous « Morel » — on a bien failli ne jamais l’avoir). Puis il s’est mis en frais de dénicher des centaines d’images de ce petit bidonville et des alentours, notamment la rue des Cordelières, qui partageait avec Moret les rives du bras mort de la Bièvre. De mon côté (de l’Atlantique), j’analysais tout ça, tout en creusant le Bottin du Commerce de Paris, l’acte de vente trouvé, quelques sommiers, et les registres de l’état civil. Travaux complétés par quelques visites supplémentaires effrénées aux Archives de Paris, une fois revenu en France, en 2017.
La conférence a eu lieu tout de suite après. Puis l’article éponyme a été publié.
Pause.
En 2024, la SHA-13 conçoit un autre projet, 4 conférences et articles sous un même chapeau : l’histoire industrielle de l’îlot Gobelins. Ayant, auparavant par la bande, amassé beaucoup de données sur la rue des Cordelières, et fort de l’expérience Moret, je fus sollicité pour me charger de cette partie du projet. Œil-de-Faucon s’est remis à la chasse aux images, et moi aux grimoires.
Ce fut l’occasion de voir naître une autre amitié, d’abord par correspondance (fort soutenue), avec Marie-Annick, descendante des Chollet, tanneurs et industriels en confection d’uniformes autrefois installés entre les deux bras de la Bièvre à la hauteur de la manufacture des Gobelins. J’ai eu la joie d’enfin la rencontrer à la veille de notre multi-conférence. Encore une intarissable ressource. Elle, c’est les églises (entre autres). De la très moderne (trop) Saint-Marcel à la très vénérable Saint-Germain-des-Prés, de la fort sobre Notre-Dame de la Gare au byzantin Sacré-Cœur, ou de la pharaonesque Notre-Dame-de-la-Croix de Ménilmontant à la mignonne Sainte-Marie des Batignolles, demandez-lui n’importe quoi, elle sait.
Et puis il y a eu Paul, un ancien de la rue des Cordelières. Lui, c’est de son histoire personnelle, de celle, tragique, de sa famille, que l’on peut tirer des enseignements. Son témoignage est à lire dans le bulletin numéro 51 de la SHA-13, daté de 2024/2025.
De ces riches rencontres sont nés les articles publiés ici.
Nous espérons que vous prendrez plaisir à les parcourir.
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