Étiquette : Écriture inclusive

  • Écriture inclusive selon Émilie Nicolas

    (Ce texte se veut une réponse aux propos de madame Émilie Nicolas, chef de file des wokes, tenus le 24 septembre 2025, dans le cadre d’un panel à l’émission En direct avec Patrice Roy, à Radio-Canada, et portant sur la décision du Gouvernement du Québec de bannir l’écriture inclusive des communications gouvermementales et para-gouvernementales. Segment débutant à la 16e minute).

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    D’entrée de jeu, madame Nicolas étale sa connaissance de l’histoire de la langue française (lire : notre ignorance de la chose). La leçon commence par le rappel du fait que le pronom indéfini « on » a toujours existé. Il faudrait croire, selon elle, que c’est la preuve que le français était, à l’origine, foncièrement épicène, et que ce n’est qu’aux XVIIe et XVIIIe siècles que l’Académie française a pris la décision « idéologique » de « genrer » notre langue. Ouf ! Par où commencer ?

    Peut-être par faire observer que l’existence du  « on » ne s’explique pas par un quelconque souci tout gentil de faire épicène, « non-genré », mais par le besoin d’un pronom indéfini quand le sujet qu’il désigne est, justement, non précisé. Procès d’intentions — vertueuses ici, mais néanmoins fausses. En passant, les phrases avec pronom indéfini s’accordent toujours au masculin. Hè…

    Mais le plus fou est cette affirmation à l’effet que le français a été rendu « genré » par les méchants masculinistes de l’Académie française, autour de 1700, dans le but, idéologique comme chacun sait, d’effacer la Femme du paysage. Gynocide, rien de moins. Procès d’intentions, on disait ? (Elle répondait de la sorte à Christian Dufour, qui venait de traiter d’idéologie la notion d’écriture inclusive. Le bon vieux « Celui qui le dit c’est lui qui l’est ». Pas fort.)

    Les archives de l’histoire de la langue que madame Nicolas voudrait nous enseigner contiennent-elles des pièces permettant d’étayer une aussi grave accusation ? Certainement pas, puisque le « crime » n’a jamais été commis. En effet, l’histoire — la vraie — de la langue française montre bien que celle-ci était « genrée » au moins dès les années 1100, date de l’écriture de la célèbre Chanson de Roland, poème apologétique très « genré » que connaît tout premier venu ayant ouvert le moindre fascicule d’histoire de la langue française, et qui relate les mésaventures de Charlemagne en Espagne, lui et son féal comte Roland.

    Et puisqu’on parle de Charlemagne, parlons donc des Serments de Strasbourg, qu’ont prêtés ses petits-fils, en 843, pour se partager l’empire disloqué de leur aïeul, et qui ont été rédigés en tudesque (langue des peuples de l’est de l’empire, et qui deviendra l’allemand) et en roman (langue des peuples de l’ouest, qui deviendra le français). Notre petit amateur d’histoire de tout à l’heure, s’il ne sait qu’une chose, c’est que ce texte est reconnu comme le tout premier écrit en langue française — ou romane si on y tient. Et devinez quoi : le roman était déjà « genré ».

    Est-il nécessaire de rappeler, en plus, que français et roman, ainsi, du reste, qu’italien, espagnol et roumain, bref toutes les langues latines, sont issues du… latin, absolument « genré » lui aussi ? Le « complot » remonte à loin, bien avant Richelieu… Mais le complotisme se passe très bien de chronologie et de cohérence. C’est d’ailleurs une condition indispensable à la persistance de ses théories.

    Passons au sophisme woke suivant.

    « La langue est vivante et elle évolue avec la société. Quand la société évolue, la langue évolue avec. ».

    Le mot magique est lâché : évolution. Tout ce qui s’en réclame devient par définition inattaquable. Et ceux qui questionnent, de vils réactionnaires. C’est très commode — mais un peu court. Premièrement, tout changement, toute évolution, n‘est pas nécessairement progrès. L’érosion, la dégradation, le pourrissement, sont aussi des formes d’évolution. Il faut donc juger au cas-par-cas.

    Mais surtout, de quelle évolution parle-t-on ici ? Le peuple, profondément « genré » depuis des millénaires, aurait, en l’espace d’une ou deux décennies, spontanément et de concert, « évolué », au point de devoir mutiler sa langue pour qu’elle reflète cette évolution-éclair ? Allons.

    Ça a toujours été le fantasme des idéologues de vouloir faire « évoluer » les sociétés vers ce qu’ils considèrent comme le bien, et ce, instantanément, rien qu’à l’énoncé de leurs doctrines. Or, ça n’arrive jamais. Mais que leur importe ? Impuissants à faire tourner la Terre dans l’autre sens, ils se paient au moins la satisfaction de parler comme si — et voudraient imposer leur novlangue aux masses, mettant ainsi, littéralement, la charrue devant les bœufs, et les lunettes roses devant les yeux.

    Songeons seulement aux risibles tentatives de la première Révolution française d’imposer un nouveau calendrier sorti de nulle part — encore cette manie des idéologues de baptiser, à défaut de la faire advenir concrètement, une réalité que seules leurs lubies discernent. C’est ainsi que les Frimaire, Pluviôse et autres Décadi sont repartis aussi vite qu’ils étaient apparus, et n’ont guère connu d’existence en dehors des actes officiels de l’éphémère Convention. Le bon peuple ? il en riait. Et il a eu le dernier mot. Signe.

    Bref, les langues, comme les sociétés, évoluent lentement, et non pas à coups de pied au cul, donnés par des idéologues impatients de voir le monde transformé selon leur idéal, de leur vivant. Rappelons que Moïse n’a jamais vu la Terre Promise, ni Marx le Grand Soir, ni Voltaire ou Rousseau la République. Patience, donc. On ne tire pas sur une fleur pour la faire pousser plus vite. Et cette sagesse nous évite de se jeter tête baissée dans toutes les modes fofolles qui passent. Et a l’avantage de filtrer les dérives délirantes.

    Puis…

    Multipliant les mimiques d’une personne supérieure exaspérée et navrée par les inepties de ses congénères, madame Nicolas se plaint ensuite que les détracteurs de l’écriture inclusive se servent toujours des exemples les plus lourds (imposés par cette doctrine), afin de la caricaturer. Bon. Je cherche encore des exemples qui ne soient pas lourds, voire caricaturaux.

    Mais qui donc les a créés, ces exemples ? Ici, madame Nicolas, qui les préconise — et en qualifie elle-même certains de lourds et prêtant flanc à la caricature — a sur ce point une accusation à porter : si ridicule il y a, ce n’est pas la faute des auteurs de cette dérive, mais la faute de ceux qui la dénoncent ! La bonne foi n’aura pas fait long-feu… Avec une éthique pareille, tactique d’idéologues où les contraires se confondent, ils ne peuvent que toujours se donner raison.

    Ne reste alors qu’à identifier le vilain utile, ici les personnes conservatrices, que Legault essaie de rameuter à des fins électoralistes (autre procès d’intentions). C’est oublier trop vite que, pour rallier la population dans un désamour de l’écriture inclusive, il n’y a pas grand effort à faire… En effet, malgré les prétentions de madame Nicolas, on n’est pas rendus là. Et c’est pas demain la veille… du grand soir.

    Ainsi donc, l’écriture inclusive ne ferait qu’essayer généreusement de refléter la société. De rendre à nouveau visible cette moitié de la population machiavéliquement invisibilisée depuis 300 ans (en fait, 3 000, on l’a vu). Posture apparemment inattaquable.

    Encore faut-il démontrer que cette invisibilisation s’est réellement produite. Mettons que l’on a mis beaucoup de temps à s’en scandaliser… En fait, les femmes — certaines femmes — n’ont senti l’injustice que quand des idéologues les ont persuadées qu’il en existait une, et qu’elles en étaient les victimes. L’affaire de quelques années. Les autres — l’immense majorité — ont toujours très bien compris qu’elles n’avaient pas à « prendre personnel » les nécessaires aménagements grammaticaux sans lesquels une langue touffue comme la nôtre ne survit pas.

    Sauf que notre woke préférée n’a pas pu s’empêcher d’ajouter, au nombre des multitudes ainsi ignoblement invisibilisées, les personnes « non-binaires ».

    Entrevoit-on bien ce que cela signifie ? La porte s’ouvre à l’inclusion, dans la grammaire, de toutes les altérations nécessaires pour re-visibiliser toutes les catégories de personnes qui ne cochent ni F ni M dans les formulaires, au gré de leurs ressentis volatiles — et qui forment moins de 1 % de la population (mais on recrute activement, ceci dit ; ou plutôt, on endoctrine). Ce n’est qu’un début, continuons le combat, dit le mantra du militantisme.

    Parlant de mantra militant, quand madame Josée Legault, présente à ce panel, est venue à son tour dire que le néologisme « iel » avait été inclus dans le Robert (2021), on a pu entendre un triomphant « Voilà ! » de madame Nicolas. Une noyée s’accrocherait à un cure-dents, comprenons-la. Mais on ne peut, par ailleurs, laisser passer cette auto-proclamation de victoire (Trump nous en a assez truffés).

    Rappelons donc que le Robert n’est pas un ouvrage de référence, contrairement au Larousse, par exemple. Notre férue de langue devrait savoir ça. Quant au Larousse, non seulement s’est-il refusé à inclure ce barbarisme, mais encore, avec véhémence, allant jusqu’à dire que cette tendance menaçait l’existence même du français. Excusez du peu. Un dictionnaire, rappellent les linguistes, n’a pas à consacrer des termes issus du militantisme, passagers par nature, tant qu’ils ne sont pas passés dans les mœurs, et attestés massivement, et sur une longue période. On est très loin du compte, malgré les illusions des wokes, qui voudraient que chacun de leurs rêves se matérialise dès qu’ils sautent du lit. Tollé également un peu partout dans la francophonie savante. Et ne parlons même pas de l’Académie française, vieille de quatre siècles — et qui en passera au moins quatre autres sans succomber à ces assauts intempestifs.

    Notre militante s’est bien gardée de mentionner ces faits — elle fidèle à sa mission, et à sa manière.

    ***

    Maintenant que nous avons réfuté chacun des sophismes d’Émilie Nicolas (je reconnais qu’il y en avait beaucoup), terminons sur une courte déclaration qui exprime l’essentiel de mon sentiment, de ma position sur le sujet de l’écriture inclusive.

    Ultimement, c’est faire insulte à l’intelligence des femmes que de prétendre que leur légitime aspiration à l’égalité passe par une mesure purement cosmétique comme l’écriture inclusive.

    Grimer la langue au lieu de modifier les attitudes et les pratiques. Théâtre.

    On n’atteindra pas concrètement la vraie égalité en infantilisant les femmes, en les représentant comme des créatures capricieuses qui se mortifient d’outrages inventés dont le redressement revanchard seul pourrait les calmer.

    N’est-ce pas là exactement ce que dénonce le féminisme ?