Se servir de Malala

Dans la discussion entourant les diverses formes de voiles portés en certaines circonstances par des Musulmanes, et l’attitude sociale qu’il convient d’adopter vis-à-vis ce « simple vêtement », certains soutiennent qu’il est faux de prétendre qu’il s’agit, dans le contexte actuel, d’un étendard islamiste. Toutes sortes d’arguments sont avancés.

Parmi ceux-ci, j’en retiendrai deux, assez amusants :

« Le voile n’est pas un étendard islamiste puisqu’il existait longtemps avant l’islam ».

« Malala Yousafsaï (1), héroïne pakistanaise de la lutte pour le droit à l’éducation des jeunes filles, porte le voile, et l’a fait en recevant son prix Nobel pour sa défense de cette cause. Ceci démontre que le voile n’est pas un étendard islamiste »

Qualifier ces ratiocinations de sophismes serait leur faire trop d’honneur. J’opte plutôt pour « raisonnements de machine à coudre ».

Voyons le premier. En vertu de cette « logique », du fait que la croix, cet instrument de torture romain, existait bien avant qu’on n’y cloue un certain Jésus, il serait faux de prétendre que cette même croix est devenue un symbole chrétien.

Et, puisque l’on parle de croix, une autre variété, la croix gammée, ayant fait son apparition en Orient il y a des millénaires, il faudrait s’abstenir de considérer comme de la propagande nazie le fait d’en barbouiller des synagogues ou des pierres tombales juives, et considérer sérieusement la possibilité qu’il s’agisse plutôt de paisible éloge de valeurs hindouistes ou bouddhistes.

Allons. Contentons-nous de sourire.

Passons à l’instrumentalisation de Malala, procédé fort en vogue chez les négationnistes de la montée islamiste.

Ainsi, parce qu’une incontestable héroïne de la libération des femmes, à travers son action pour permettre l’enseignement des jeunes filles au Pakistan, pays cancéré par le talibanisme, parce que Malala Yousafsaï, croyante musulmane, porte le voile, il serait interdit de voir le port de ce dernier, par quelque musulmane que ce soit, comme un geste, non simplement esthétique, culturel ou religieux, mais bien islamiste.

Décidément…

L’alphabet peut servir à écrire de tendres poèmes, mais aussi des lettres de menaces, ou pire. Tout dépend des motivations de celui qui tient la plume — ou de celle qui porte le voile. Exclure, parmi ces possibles motivations, la propagande islamiste, exercée par de très nombreuses personnes, relève de la pensée magique la plus niaise.

Revenons à Malala.

Qu’a-t-on à lui prêter des intentions, à solliciter son appui involontaire à des causes parfois contradictoires ? N’en fait-elle pas déjà assez ? N’était-ce pas assez d’avoir reçu une balle à la tête tirée par un fou de Dieu, pour qu’on la laisse tranquille (quel mauvais choix de mot !) se consacrer à UNE cause, SA cause, immense et exigeante, dangereuse, sans la convoquer à prétendûment absoudre tout port du voile, par qui que ce soit, au nom d’une ratiocination risible, d’une simplification infantile ?

Les questions sociales ne sont pas toutes à choix binaire. On peut s’opposer aux talibans sans devoir être athée. Préconiser l’enseignement à des jeunes filles musulmanes tout en portant un voile, et sans exclure d’autres visées par d’autres personnes.

Mais comprendre cela semble trop compliqué à nos résonneurs.

  • (1) Malala Yousafsaï est cette jeune Pakistanaise qui se bat depuis l’enfance contre cette vermine de talibans, pour l’enseignement aux filles dans son pays. En 2012, à l’âge de 14 ans, elle frôle la mort aux mains d’un fanatique en mission commandée.

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